L'empreinte de temps troublés sur un chapiteau de Saint-Nectaire-

 

Albert Pinto   -     Septembre 2020

LE « RANULFO » DE SAINT- NECTAIRE :
DONATEUR OU PREVARICATEUR ?

 

La face occidentale du deuxième chapiteau nord  du rond-point de l’église de Saint- Nectaire a soulevé nombre d’interprétations dont aucune ne semble pleinement concluante.  En l’absence  de sources historiques, l’on ne peut que proposer des hypothèses  pour expliquer la scène représentée, notamment  la présence de l’inscription «  Ranulfo », affectée d’une dispersion inhabituelle dans l’épigraphie romane..

 Les auteurs  qui ont tenté d’éclaircir  cette composition énigmatique  se sont essentiellement rangés, à quelques variantes  près, soit à  une illustration du droit d’asile, comme l’a notamment  proposée Swiechowsky (1)  soit au thème du donateur,  fréquent dans l’iconographie des églises romanes auvergnates,   qu’a notamment  retenu Jérôme Baschet (2), tout en évoquant  un rapport au combat spirituel comme  l’avait déjà suggéré Bernard Craplet  (3).
Cette interprétation était  proposée  dans un document vidéo  consacré  par Albert Pinto et le R.P. Pierre de Laprade à l’église de Saint- Nectaire ( 4).
Bruno Phalip, quant à lui, tout en retenant que la colonne figurée au centre de la scène  fait bien référence à l’église, image habituellement associée à la donation,  les attitudes des divers personnages  n’excluent pas l’évocation du droit d’asile, mais dans  un climat de violence reflétant les conflits qui déchiraient l’Eglise et la société au XIIe siècle  (5 ).
Une synthèse  de ces interprétations  ainsi que les sources s’y rapportant  est exposée dans l’étude  approfondie  de l’église de Saint- Nectaire  que constitue la thèse de doctorat de  David   Morel  ( 6 ).

Les auteurs  cités, ainsi que plusieurs autres, nous offrent une riche lecture des  chapiteaux de Saint- Nectaire et de multiples  interprétations  à quoi il n’y a guère à ajouter sauf à suggérer une nouvelle piste concernant  la scène de Ranulfo.
La piste envisagée ici postule,  pour  être plausible, quelques  conditions préalables :
- Que des liens établis  par les religieux de saint-Nectaire avec La Chaise-Dieu   les aient sensibilisés à la prédication de saint Anselme, très prégnante dans la communauté casadéenne.
- Que soit pris en compte, en cette période située entre le milieu et la fin du XIIe siècle où se situe très probablement  la construction de l’église,  le contexte politique et religieux  de l’époque , particulièrement  les répercussions en Auvergne des rivalités entre Plantagenets  et Capétiens, y compris à travers  le « patronage » de certaines  communautés monastiques, mais aussi les dissensions religieuses très profondes qui perduraient depuis la querelle des Investitures au siècle précédent.
 - Enfin - et surtout - que l’inscription « Ranulfo » ne corresponde pas à quelque bienfaiteur  local oublié par  l’histoire mais qu’elle se réfère  à une personnalité  influente en son temps  et clairement identifiée, dont la désignation conférerait sens à toute la composition .
Sous réserve de ce réseau conjectural et à la lumière des développements qui suivront, il semble plausible  que le « Ranulfo » représenté sur la corbeille en question ne soit autre que le tristement célèbre Ranulf  Flambard, prêtre normand  devenu évêque de Durham au  XIe siècle, qui fut à l’origine de troubles profonds dans les institutions chrétiennes  et la société de son temps.

 

L’EMPREINTE DE LA CHAUSE-DiEU  ET L’INFLUENCE DE SAINT ANSELME

Au milieu du XIIe siècle,  Guillaume VII, comte d’Auvergne, fait don  du territoire de Saint-Nectaire à l’abbaye de la Chaise-Dieu. Les sources sont floues quant aux suites de cette donation. Il est en tout cas avéré que les moines casadéens  installèrent sur ce site un petit prieuré  et  intervinrent peut-être dans la construction de l’église. Malgré les incertitudes entourant  l’origine  et l’affiliation de l’édifice,  il est extrêmement probable, tant fut considérable le rayonnement  de La Chaise Dieu (7 ) que  leurs conceptions théologiques  comme leur rapport à la société du temps aient imprégné les bâtisseurs de Saint-Nectaire.

Or, dès le siècle précédent, les moines de La Chaise-Dieu avaient été fortement marqués, non seulement par la pensée de saint Anselme de Canterbury, mais aussi par les indignations que lui inspiraient   les pratiques indignes  qui affligeaient l’Eglise, répercutant ainsi les prescriptions  de la réforme  grégorienne et  la dénonciation de la simonie et de la mainmise  des laïcs sur l’Eglise telle qu’elle s’exprima lors  du IIe Concile du Latran.
Les sources historiques, reprises du XIXe siècle à nos jours par nombre d’historiographes de la vie et de l’œuvre de saint Anselme, relatent les liens privilégiés que l’archevêque de Canterbury   avait noués avec la communauté monastique  casadéenne,  impressionnée  par la richesse argumentaire   et souvent innovante de sa philosophie et  de sa théologie.
Il convient de signaler incidemment  le fait, longtemps ignoré ou sous-estimé, que les échanges entre les communautés religieuses médiévales étaient  très actifs : échanges de manuscrits,  nouvelles  véhiculées par des moines-messagers, visites de monastère à monastère étaient  coutumiers.

C’est dans ce climat de brassage spirituel  que les traités et méditations de saint Anselme se répandirent  en France, en Flandre et naturellement en Angleterre. Et c’est au fin fond de l’Auvergne, à la Chaise-Dieu, qu’ils  furent reçus avec  le plus de chaleur.  On a recensé un échange de lettres entre les abbés de la Casa Dei et l’archevêque qui témoignent de cette admiration. Le comte de Montalembert relate ainsi (8) , en termes fleuris, empruntés à des chroniques anciennes en latin, le climat de ces échanges : « Les moines de La Chaise-Dieu écrivaient  à Anselme qu’à la seule lecture de  ses écrits, ils croyaient voir couler  les larmes de sa contrition  et de sa piété, et sentaient leurs âmes  comme inondées par la douce rosée de vivantes et silencieuses bénédictions qui débordaient de son cœur. »

En août  de l’an 1100, Anselme, dépouillé  de sa charge et de ses biens  par le roi d’Angleterre et qui vit en exil depuis trois ans, est invité par les moines de La Chaise-Dieu. Il vient à cheval de Lyon à leur rencontre et c’est en ce moment de détresse et de révolte qu’il va livrer à ses hôtes le tableau d’une Eglise à la dérive. Malgré sa réforme et sa victoire sur l’Empereur, Grégoire VII n’avait pas éradiqué les séquelles de la querelle des Investitures; nicolaïsme et surtout simonie sévissaient toujours  et perdureront encore longtemps. Ce n’est cependant pas le seul mal auquel Anselme ait été  confronté et ses déboires, dans l’Angleterre des Plantagenets,  lui inspirent les amères dénonciations dont il fera part à ses hôtes de La Chaise-Dieu qui en  seront durablement marqués.

ANSELME CONTRE RANULF FLAMBARD

Par une singulière coïncidence, c’est pendant son séjour à la Chaise-Dieu qu’Anselme reçut  la nouvelle de la mort accidentelle du roi d’Angleterre Guillaume Le Roux, fils cadet de Guillaume le Conquérant. Bien qu’au début de son règne, Rufus ait promis à l’abbé du Bec, devenu archevêque  de  Canterbury de réformer ses mœurs , il tomba  sous l’influence d’un conseiller qui avait déjà été le secrétaire de son père, Ranulf, surnommé le Flambard. Ce dernier, promu évêque de Durham, avait mis la main sur de nombreux diocèses et abbayes dont il avait dilapidé les biens. De surcroît, Ranulf avait  incité Guillaume à ignorer  l’élection du pape Urbain II, sans pour autant  reconnaitre celle de l’antipape Clément III, mais faisant forcément le jeu de ce dernier. Et c’est d’avoir énergiquement dénoncé ce lourd faisceau d’infamies  dont se rendait à ses yeux coupable Ranulf, considéré par lui  comme l’âme damnée du souverain, qui conduisit Anselme à l’exil. Animé de cette aversion profonde,  il n’est pas étonnant qu’il en eût livré l’image désolante à ses auditeurs de La Chaise-Dieu. Toujours est-il que la mauvaise réputation de Ranulf   traversa tout le Moyen-Age, et, bien que les historiens modernes aient quelque peu atténué la sévérité du tableau. elle persiste encore , puisque l’on peut voir, à Christchurch, dans le Dorset, une sculpture-charge du personnage, représenté de façon caricaturale à la  manière des figurations  médiévales de l’usurier ou du « Fol Dives » d’Orcival : ventre rebondi et serrant  des bourses bien pleines, fruits de ses exactions ( fig. 1  ). Pour ajouter au romanesque du personnage,  on peut rappeler  que Ranulf  fut, un temps, le premier prisonnier politique de la Tour de Londres…et aussi le premier à s’en évader.

Rien d’étonnant, dès lors, qu’on se souvienne encore  au XIIe siècle à Sait-Nectaire du sombre portrait brossé par Anselme, d’autant plus  que les relations complexes entre l’Angleterre et la France ont toujours exercé des influences profondes et que l’Auvergne  vient, à l’époque probable de la construction de l’église, de devenir fief des Plantagenets par le mariage en 1152 d’Henri Plantagenet   avec Aliénor d’Aquitaine. Et pour ajouter aux rapprochements avec le passé, et raviver le souvenir  délétère du climat entretenu naguère par Ranulf, l’Eglise se retrouva un temps déchirée par une nouvelle  « affaire d’antipape » opposant  Innocent II à l’antipape Anaclet II.
Quoi qu’il en soit, pour revenir à la visite casadéenne d’Anselme, ses hôtes l’y virent verser, malgré ses griefs, «  des larmes amères » à la nouvelle de la mort de Rufus. Rentré en  Angleterre, il recouvra  ses fonctions   avec l’accession à la couronne d’Henri Ier Beauclerc, frère de Guillaume    tandis que  Ranulf  était mis  bientôt  en prison avant  de rentrer à nouveau en grâce et  retrouver son siège  de Durham. Son image demeura en tout cas attachée aux profonds désordres du temps, à la corruption de nombreux  prélats et à la mainmise de féodaux brutaux sur maintes possessions ecclésiastiques. Et dans les dernières années du XIIe siècle, ce souvenir a sans doute plané  sur les territoires où sévit ce que  l’on  a appelé  la première Guerre de Cent Ans.

 UNE DRAMATURGIE DU SALUT

Avec ses 87 personnages  peuplant  les faces et les angles  de six corbeilles, l’hémicycle de l’église saint Nectaire de Saint-Nectaire témoigne de la densité thématique  offerte par l’art roman auvergnat.
A défaut de programme -intention rarement satisfaite dans l’iconographie médiévale - , c’est un éloquent réseau d’images que déploient ces chapiteaux dans une dramaturgie du Salut associant  la Passion, la Résurrection et la Rédemption. Ces thématiques, harmonisant  avec cohérence  le cœur même  du message évangélique,  sont regroupées sur quatre  chapiteaux du chœur ( A,B,E,F sur le schéma, fig.  2 ) dont un certain nombre de caractères méritent d’être relevés. On peut souligner, par exemple, l’importance  expressive des mains  dans la composition des scènes.  La plupart de celles représentées  dans  l’Arrestation de Jésus et la Flagellation sont des mains de violence, faisant écho aux glaives brandis. Jusqu’à la main de Jésus protégeant l’oreille de Malchus,  tout est brutale agitation dans  cette imagerie ( fig. 3 ). Cette observation  peut s’avérer utile pour éclairer la scène de « Ranulfo ».

L’on observera aussi que la face, apparemment « hors-sujet » de l’incrédulité de Thomas  ( fig. 4 ) , trouve sa place sur la corbeille A dont elle ne rompt nullement l’unité:  le geste de Thomas, en effet, marque une transition entre la Passion et la Résurrection. La réponse du disciple: « Mon seigneur et mon Dieu »  relèverait alors des Béatitudes  en illustrant la formule de Jean : « Heureux sont ceux qui croient sans avoir vu ». Or, la pensée de saint Anselme, sur laquelle insiste la présente étude  étude, notamment son célèbre « Proslogion », qui inspira fortement la règle bénédictine,  transpose la formule en cette « transfiguration intérieure » où s’exprime la maxime « Je ne cherche pas à comprendre pour croire, mais je crois pour comprendre ».
Cet enseignement de saint Anselme, comme le souvenir de son combat contre les  dérives religieuses et sociétales de son temps ont-ils imprégné la communauté casadéenne en cette seconde partie du XIIe siècle ? on peut le croire, en dépit des troubles internes   qui pesaient alors sur l’abbaye de La Chaise-Dieu. On peut du moins  penser que les moines  qui vivaient au prieuré de Saint Nectaire et qui furent peut-être à l’origine de l’édification de l’église avaient conservées intactes les anciennes convictions de leur maison-mère.

Les deux chapiteaux, C et D, qui ne font pas partie  du « cycle du Salut » illustré  sur  les quatre précédents , participent néanmoins à l’unité de l’ensemble.  La corbeille D relate des épisodes de la vie  de saint Nectaire, à qui l’église est dédiée, incluant une intéressante représentation de  l’église avant son achèvement.
Le chapiteau  C est essentiellement consacré à deux périodes  successives  de la vie de Jésus: la Multiplication des Pains, préfiguration possible de la Céne, et la  Transfiguration, qui occupe deux faces contiguës. Cet épisode de la Transfiguration, relaté par les trois évangiles synoptiques , trouve peut-être une correspondance philosophique  dans la transfiguration dont parle Anselme.

UN INTRUS  AMBIGU DANS  LE RECIT EVANGELIQUE

C’est sur  la dernière face de cette corbeille C que se trouve l’élément le plus inattendu et le plus énigmatique  de l’iconographie de Saint Nectaire ( fig. 5).
Empruntons la description qu’en fait David Morel  (9): «  Sur la face orientale de ce chapiteau  apparait un personnage, vêtu d’un bliaud court, se cramponnant à une colonne. A gauche, un ange, vêtu d’un long drapé et armé d'une épée, le saisit par le poignet comme pour l’entrainer. A droite, cantonné dans le haut de la corbeille,  figure un homme vêtu d’une cotte de mailles et portant  un casque à protection nasale, qui vient  le saisir par les cheveux  tout en le désignant du doigt. Hormis le soin apporté à la réalisation de ce chapiteau, qui rejoint les caractéristiques de premières corbeilles historiées évoquées, c’est l’inscription  accompagnant la scène qui a retenu constamment l’attention des auteurs. Cette inscription est simple et consiste en une série de lettres capitales  groupées ou isolées, se développant sur la hauteur de la colonne sans régularité : RA  NU  L  FO ».

Ce Ranulfo peut-il désigner  un personnage plus connu qu’un  obscur donateur ou un quelconque fuyard  réclamant le droit d’asile ? C’est Agnès Beaufrère-Guillaumont  qui suggère le plus résolument, dans la thèse exhaustive qu’elle a consacrée à la sculpture romane  en Auvergne (10 ) ,             l’hypothèse que le Ranulf  (ou Ranulph)  de Saint- Nectaire soit un personnage malveillant figuré dans  un geste d’arrachement de la colonne à laquelle il s’agrippe, arrachement d’ailleurs presque réussi, puisque l’on aperçoit la base de la colonne descellée. Elle met aussi opportunément en résonance cette scène d’un personnage  détruisant une église avec celle du chapiteau de saint Nectaire où un saint est au contraire associé à sa construction (fig. 6 )
« Notre » Flambard  semble bien répondre à une telle évocation. Encore faut-il le confronter aux autres interprétations qui ont été apportées  à ce chapiteau.
L’hypothèse du droit d’asile  fut certes envisagée d’abord. Mais que vient faire alors cette étrange dislocation dont est affectée l’inscription avec des caractères disposés de manière erratique  et un  U à peine lisible ? ( fig. 7   ). Ces lettres semblent déjà désigner celui dont elles  forment le nom comme un personnage de rupture, de conflits…
Une autre lecture met cette scène en relation avec le thème du donateur,  représenté dans maintes églises, l’exemple le plus célèbre étant le Stefanus de Notre Dame du Port à Clermont, associé au chapiteau de la Psychomachie ( fig. 8 ). D’autres, comme à Volvic ( fig.89  ), à Bulhon ( fig. 10 )  ou à Trizac dans le Cantal ( fig. 11 ) proposent la même thématique; mais sur tous ces chapiteaux, la figure des protagonistes reflète la sérénité, le don généreux. Et les inscriptions qui les accompagnent  sont explicites, avec un  graphisme ordonné.
A Saint Nectaire, au contraire, le visage du personnage central est grimaçant, son geste est prédateur, au sens du latin praedator = pillard. Les mains, ici encore, semblent plus s’apparenter à la crispation de celles de la flagellation et de l’arrestation qu’à un geste d’accueil.  Celle de l’ange semblerait plutôt repousser Ranulfo de sa colonne  que l’accueillir et son glaive vertical établit comme une frontière, un barrage. La présence du démon-soldat agrippant la chevelure de Ranulfo, et qui apparente cette sculpture à celle du Port (fig.  12 ) accentue encore le caractère malveillant et violent de la composition  entière.
Que faisait le Flambard en son temps, sinon s’ « agripper » aux biens de l’Eglise qu’il dilapidait outrageusement ? Son souvenir, peut-être entretenu par la mémoire casadéenne et répandue dans ses dépendances,  aurait ainsi  inspiré  au  sculpteur de Saint- Nectaire cette thématique dénonciatrice ,  grinçant oxymore de la donation , qui apparaît alors comme une  métaphore de la simonie, mal qui gangrenait  l’Eglise depuis des siècles, et singulièrement le XIe.


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1. Zygmunt Swiechowsky : «  Sculpture romane d’Auvergne ». Editions de Bussac, Clermont-Ferrand 1973.
2. Jérôme Baschet,  Jean-Claude Bonne et Pierre-Olivier Dittmer: «  Saint -Nectaire : déploiements figuratifs et autoglorification de l’Ecclesia » in « Images Re-vues », hors série3/2012. 
URL :      http://journals.openedition.org/imagesrevues/1611

 

3. L’ouvrage du chanoine Craplet « Auvergne Romane » a été l’un des premiers fleurons de la collection Zodiaque ( «  La Nuit des Temps » éditions de La Pierre qui Vire) qui réveilla l’intérêt du public pour l’art roman.
4. L’église de Saint Nectaire : Un Evangile de pierre », A.Pinto et P. De Laprade. Vidéo  de l’Association « Cultures et Communication ». Clermont-Ferrand, 2002.
URL :     https://www.youtube.com/watch?v=TrHljuvjoFQ
5. Cité ici par David Morel.
6. David Morel : « Tailleurs de pierre, sculpteurs et maîtres d’œuvre dans le Massif Central ».
Tome 3 : «  L’église saint Nectaire de Saint Nectaire ». Thèse de doctorat, université de Clermont-Ferrand- Blaise Pascal, juin 2009.
7 . Voir notamment  Pierre-Roger Gaussin : «  Le rayonnement de La Chaise-Dieu. Editions  Watel, Brioude 1981.
8. Comte de Montalembert :« Saint Anselme » ,Vaille éditeur, Paris 1844
9. Ouvrage cité (6)
10. Agnès Beaufrère-Guillaumont : «  Sculpture romane d’Auvergne, iconographie, textes et programme ». Thèse de doctorat Université de Toulouse Jean-Jaurès, juin 2017.
Url : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02115562/file/Beaufrere_Guillaumont_Agnes_annexes.pdf


PHOTOS : Les photographies et le schéma sont d'Albert Pinto,  sauf la fig. 10 : photo X...


 


 




Les chapiteaux de Saint-Parize-le-Châtel : une plongée dans l'imaginaire roman

La petite église romane de Saint-Parize-le-Châtel, dans la Nièvre – du moins ce qu’il en reste après les lourdes restaurations commises au XIXe siècle -  abrite une crypte tout à fait exceptionnelle qui suscite depuis longtemps l’émerveillement mais aussi la surprise des visiteurs. En effet, les six gros chapiteaux disposés à hauteur de regard qui la quadrillent, et deux d’entre eux notamment, qui foisonnent de détails, ne sont pas seulement remarquables par la verve savoureuse de leurs sculptures mais par la nature même de leur iconographie, assez inattendue, voire insolite par rapport à  la hiérarchisation régissant d’ordinaire  le décor assigné aux  espaces ecclésiaux. Les figures qui peuplent ces chapiteaux, d’inspiration essentiellement  mythologique empruntent peu à la thématique chrétienne et rien du tout aux récits bibliques et christiques ; quant à  leur portée symbolique, elle demeure cantonnée dans le champ aléatoire des interprétations… Pour dire les choses trivialement, on se demande ce que ce réjouissant grouillement de personnages profanes vient faire dans une crypte censée offrir parcimonieusement à la vénération des fidèles quelques reliques (parmi lesquelles, peut-être,  le sarcophage de saint Patrice, apôtre du Nivernais).  Cette apparente anomalie conduit à s’interroger sur l’iconographie médiévale qui n’en finit pas, à mille lieues  des idées reçues, de dévoiler sa complexité. Ainsi ces chapiteaux, dont l’invention et la fantaisie suffisent  à combler le regard et stimuler l’imagination, apparaissent de surcroît comme un précieux jalon pour  la compréhension de l’image romane et son anthropologie, puisque nous  devinons à Saint-Parize la personnalité d’un artiste qui a peut-être bousculé les frontières  de la tradition, tout en nous laissant entrevoir un pan de  la société de son temps et de son ouverture à un monde de mouvement, sur fond de querelles bénédictines sur l’ « opportunité » des images entre Cîteaux et Cluny.

Il m’a donc semblé que la crypte de Saint-Parize justifiait la conception d’une monographie, forcément incomplète bien qu’elle renvoie à plusieurs références,  et qui ne pourrait qu’être enrichie par des recherches ultérieures. Elle vient à temps, me semble-t-il, au moment où la municipalité de Saint-Parize, dont la commune constitue une étape d’un chemin de Compostelle, déploie de louables efforts pour faire connaître au plus grand nombre ce joyau de la sculpture romane.


L’ouvrage est paru sous ce titre : «  La crypte de Saint-Parize-le-Châtel, espace de liberté d’un sculpteur roman » et l’on peut en examiner des extraits sur le site books-google, sous le lien :


https://books.google.fr/books?id=Mu5NDAAAQBAJ&pg=PA1&lpg=PA1&dq=espace+de+libert%C3%A9+d'un+sculpteur+roman&source=bl&ots=E3pCp45waW&sig=m3DDd5uSvUOr7rGT2JwUeSGGPOE&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiwnZH59qLNAhWE2xoKHWwRALMQ6AEIKTAC#v=onepage&q=espace%20de%20libert%C3%A9%20d'un%20sculpteur%20roman&f=false

                                      Lien de l’éditeur : http://www.bod.fr/livre/albert-pinto/la-crypte-de-saint-parize-le-chatel--espace-de-liberte-dun-sculpteur-roman/9782322078110.html  

                                                                                                    

              COUPS DE PROJECTEUR DANS LA CRYPTE
(photos Albert Pinto)


 

L'acrobate

 

L'âne à la harpe

 

Le centaure

 

L'homme au chaudron

 

Le mauvais riche

 

Le sciapode

 

La sirène

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Quelques sites traitant de la crypte :

http://www.bourgogneromane.com/edifices/stparize.htm



 

L'INFLUENCE CELTE DANS UNE EGLISE ROMANE D'AUVERGNE






La petite église de Biollet, (  Puy-de-Dôme ) recèle d'intéressants chapiteaux qui sont très révélateurs de l'influence persistance de la culture celte dans la société rurale des Combrailles, au XIe siècle. La sculpture de ces chapiteaux en comporte maints indices qui sont autant de témoins du syncrétisme dont l'Eglise a dû faire preuve pour substituer " en douceur " la foi chrétienne aux anciennes croyances.
La description de ces chapiteaux a fait l'objet d'une monographie imprimée ( A.M.P. Clermont-Ferrand, 2007 ) que l'on peut également consulter en ligne sur le lien suivant :




Grandeur et misère de la représentation féminine dans l'iconographie romane






La basilique Notre-Dame du Port, à Clermont-Ferrand, édifice majeur de l'art roman auvergnat, a été entièrement rénovée en 2009, ce qui a permis de mieux mettre en valeur son architecture exceptionnelle, en particulier la richesse de son choeur où une série de chapiteaux historiés, dus au sculpteur Robertus, expose une remarquable dramaturgie iconographique allant de la Genèse à l'Assomption. Les touches de peinture ajoutés à ces chapiteaux les rendent plus visibles à l'oeil du visiteur, mais la photographie en haute résolution met en évidence une certaine grossièreté du trait qui dénature quelque peu l'expression originelle des personnages. Une telle restauration est heureusement non destructive,  réversible et pourrait être améliorée dans l'avenir.


 
 C'est un des chapiteaux de cet ensemble, celui du Paradis Perdu, qui me conduit à une réflexion d'ensemble sur le regard contemporain qui peut être porté sur l'art, notamment à travers la représentation de la femme dans l'iconographie religieuse romane et plus généralement médiévale.

On y voit une Eve difforme ( dotée d'un nombril, ce qui dénote la naïveté ou l'ignorance de l'artiste ) qui tend à Adam le fruit défendu offert par le serpent ( à moins qu'elle-même, doublement coupable, le donne aux deux à la fois ) ! Sur les autres chapiteaux, la figure féminine de la Vierge Marie, la "Nouvelle Eve", est heureusement mieux traitée, tout en restant maladroite.
 Cette difformité délibérée reflète évidemment  une vision dégradante de la femme - supposée impure et inférieure - qui a traversé le Moyen Age, à travers des interprétations plus ou moins pertinentes d'une épître de saint Paul ou de tel commentaire de saint Grégoire par exemple, bien que d'autres théologiens, tels saint Victor et saint Thomas d'Aquin aient heureusement corrigé cette misogynie.





La méfiance à l'égard de la femme se retrouve dans de nombreuses représentations, telles que les " Luxures", et autres apparentées dont l'une des plus curieuses se trouve sur un chapiteau de Langogne où l'on voit une femme dont les deux seins sont livrés à des monstres. La prolifération des sirènes ( supposées tentatrices )  dans l'iconographie romane n'est d'ailleurs pas étrangère à cette symbolique de la malfaisance féminine.



La représentation de scènes de l'Evangile elles-mêmes n'échappent pas à une hiérarchisation dans laquelle la femme est souvent "en dessous", comme c'est le cas de Madeleine, couchée sous la table du repas chez Simon, aux pieds de Jésus. Un tympan de l'église de Saint Hilaire-la-Croix, en Auvergne, en est un exemple frappant.
On peut , du moins picturalement, rapprocher de cette disposition des personnages, la représentation acrobatique et rampante de la Salomé du banquet d'Hérode telle qu'on la rencontre, par exemple, sur un chapiteau de l'église de Saint-Sever, en Béarn.

 

On remarquera que les admirables vierges romanes, notamment auvergnates, témoignent d'une telle hiérarchie,la figure hiératique de Marie ayant  surtout pour fonction  de présenter l'enfant Jésus au Monde...



En attendant que l'âge gothique et ensuite la Renaissance inventent une féminité plus souriante, une image romane tranche spectaculairement avec cette vision : celle de l'Eve couchée du Linteau d'Autun, conservée au musée Rollin. Belle, alanguie, sensuelle, elle apparaît plutôt comme une banalisation qu'une condamnation du péché originel. Il a cependant été suggéré que ce linteau, destiné à surmonter la porte basse de l'église, obligeait les fidèles poassant au-dessous à se courber symboliquement sous le poids du péché et se repentir des séductions qu'il peut exercer. Quelles que soient les motivations du sculpteur ( sans doute Gislebertus lui-même), il demeure que cette image exprime la liberté  de l'artiste et son aspiration à la beauté par delà les stéréotypes de son époque.


C'est pourquoi le regard que nous portons aujourd'hui sur l'iconographie religieuse médiévale ne peut pas se contenter de rechercher l'illustration littérale d'exégèses aujourd'hui largement obsolètes, mais d'admirer, dans une perspective anthropologique, comment artistes et tailleurs de pierre ont su, tout en restant tributaires de leur époque et de ses moeurs, créer une oeuvre valant aussi pour notre temps. Je signale à ce propos que dans son excellent ouvrage universitaire : "L'iconographie médiévale",  Jérôme Baschet donne toutes les  pistes pour accéder à  la pleine saveur de la sculpture romane.



 Et s'il fallait  illustrer la primauté du génie artistique créateur, c'est un petit masque, sculpté sur un chapiteau de l'abbaye de Mozat, et décrit avec enthousiasme pour la première fois par le chanoine Craplet ( " L'Auvergne Romane ", éd. Zodiaque ) qui nous y invite. On y voit un visage d'une bouleversante humanité qui proclame   comment un obscur artiste du douzième siècle roman avait inventé la Renaissance avant l'heure. C'est ce que l'on peut appeler un pur chef-d'oeuvre...

                                                                                   Albert PINTO

 
( Cet article est disponible en anglais sur le site
" Via Lucis Photography "    https://vialucispress.wordpress.com/2013/01/17/grandeur-and-misery-a-guest-post-by-albert-pinto/  )