L'INFLUENCE CELTE DANS UNE EGLISE ROMANE D'AUVERGNE






La petite église de Biollet, (  Puy-de-Dôme ) recèle d'intéressants chapiteaux qui sont très révélateurs de l'influence persistance de la culture celte dans la société rurale des Combrailles, au XIe siècle. La sculpture de ces chapiteaux en comporte maints indices qui sont autant de témoins du syncrétisme dont l'Eglise a dû faire preuve pour substituer " en douceur " la foi chrétienne aux anciennes croyances.
La description de ces chapiteaux a fait l'objet d'une monographie imprimée ( A.M.P. Clermont-Ferrand, 2007 ) que l'on peut également consulter en ligne sur le lien suivant :




Grandeur et misère de la représentation féminine dans l'iconographie romane






La basilique Notre-Dame du Port, à Clermont-Ferrand, édifice majeur de l'art roman auvergnat, a été entièrement rénovée en 2009, ce qui a permis de mieux mettre en valeur son architecture exceptionnelle, en particulier la richesse de son choeur où une série de chapiteaux historiés, dus au sculpteur Robertus, expose une remarquable dramaturgie iconographique allant de la Genèse à l'Assomption. Les touches de peinture ajoutés à ces chapiteaux les rendent plus visibles à l'oeil du visiteur, mais la photographie en haute résolution met en évidence une certaine grossièreté du trait qui dénature quelque peu l'expression originelle des personnages. Une telle restauration est heureusement non destructive,  réversible et pourrait être améliorée dans l'avenir.


 
 C'est un des chapiteaux de cet ensemble, celui du Paradis Perdu, qui me conduit à une réflexion d'ensemble sur le regard contemporain qui peut être porté sur l'art, notamment à travers la représentation de la femme dans l'iconographie religieuse romane et plus généralement médiévale.

On y voit une Eve difforme ( dotée d'un nombril, ce qui dénote la naïveté ou l'ignorance de l'artiste ) qui tend à Adam le fruit défendu offert par le serpent ( à moins qu'elle-même, doublement coupable, le donne aux deux à la fois ) ! Sur les autres chapiteaux, la figure féminine de la Vierge Marie, la "Nouvelle Eve", est heureusement mieux traitée, tout en restant maladroite.
 Cette difformité délibérée reflète évidemment  une vision dégradante de la femme - supposée impure et inférieure - qui a traversé le Moyen Age, à travers des interprétations plus ou moins pertinentes d'une épître de saint Paul ou de tel commentaire de saint Grégoire par exemple, bien que d'autres théologiens, tels saint Victor et saint Thomas d'Aquin aient heureusement corrigé cette misogynie.





La méfiance à l'égard de la femme se retrouve dans de nombreuses représentations, telles que les " Luxures", et autres apparentées dont l'une des plus curieuses se trouve sur un chapiteau de Langogne où l'on voit une femme dont les deux seins sont livrés à des monstres. La prolifération des sirènes ( supposées tentatrices )  dans l'iconographie romane n'est d'ailleurs pas étrangère à cette symbolique de la malfaisance féminine.



La représentation de scènes de l'Evangile elles-mêmes n'échappent pas à une hiérarchisation dans laquelle la femme est souvent "en dessous", comme c'est le cas de Madeleine, couchée sous la table du repas chez Simon, aux pieds de Jésus. Un tympan de l'église de Saint Hilaire-la-Croix, en Auvergne, en est un exemple frappant.
On peut , du moins picturalement, rapprocher de cette disposition des personnages, la représentation acrobatique et rampante de la Salomé du banquet d'Hérode telle qu'on la rencontre, par exemple, sur un chapiteau de l'église de Saint-Sever, en Béarn.

 

On remarquera que les admirables vierges romanes, notamment auvergnates, témoignent d'une telle hiérarchie,la figure hiératique de Marie ayant  surtout pour fonction  de présenter l'enfant Jésus au Monde...



En attendant que l'âge gothique et ensuite la Renaissance inventent une féminité plus souriante, une image romane tranche spectaculairement avec cette vision : celle de l'Eve couchée du Linteau d'Autun, conservée au musée Rollin. Belle, alanguie, sensuelle, elle apparaît plutôt comme une banalisation qu'une condamnation du péché originel. Il a cependant été suggéré que ce linteau, destiné à surmonter la porte basse de l'église, obligeait les fidèles poassant au-dessous à se courber symboliquement sous le poids du péché et se repentir des séductions qu'il peut exercer. Quelles que soient les motivations du sculpteur ( sans doute Gislebertus lui-même), il demeure que cette image exprime la liberté  de l'artiste et son aspiration à la beauté par delà les stéréotypes de son époque.


C'est pourquoi le regard que nous portons aujourd'hui sur l'iconographie religieuse médiévale ne peut pas se contenter de rechercher l'illustration littérale d'exégèses aujourd'hui largement obsolètes, mais d'admirer, dans une perspective anthropologique, comment artistes et tailleurs de pierre ont su, tout en restant tributaires de leur époque et de ses moeurs, créer une oeuvre valant aussi pour notre temps. Je signale à ce propos que dans son excellent ouvrage universitaire : "L'iconographie médiévale",  Jérôme Baschet donne toutes les  pistes pour accéder à  la pleine saveur de la sculpture romane.



 Et s'il fallait  illustrer la primauté du génie artistique créateur, c'est un petit masque, sculpté sur un chapiteau de l'abbaye de Mozat, et décrit avec enthousiasme pour la première fois par le chanoine Craplet ( " L'Auvergne Romane ", éd. Zodiaque ) qui nous y invite. On y voit un visage d'une bouleversante humanité qui proclame   comment un obscur artiste du douzième siècle roman avait inventé la Renaissance avant l'heure. C'est ce que l'on peut appeler un pur chef-d'oeuvre...

                                                                                   Albert PINTO

 
( Cet article est disponible en anglais sur le site
" Via Lucis Photography "    https://vialucispress.wordpress.com/2013/01/17/grandeur-and-misery-a-guest-post-by-albert-pinto/  )